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La dénonciation du harcèlement moral et la liberté d’expression


Cour de Cassation, arrêt du 15 février 2023, Chambre sociale, 21-20.811


Le 15 février 2023 la Cour de Cassation a rendu un arrêt qui renforce la portée de la liberté d’expression du salarié qui dénonce le harcèlement moral.


En l’espèce, le salarié, engagé par la société Uretek France en qualité d’ingénieur d’affaires depuis 2015, avait adressé le 31 mai 2017 un courrier électronique de manière confidentielle à la direction générale de la société. Il parlait des difficultés posées par le directeur administratif et financier de la société. Dans son mail confidentiel il le décrivait comme ''pédant'', ''odieux'' et ''nuisible'', ''incapable de répondre à une question simple, même s'agissant de finance'' et qu'il était ''détesté et dangereux : détesté parce que détestable et dangereux car incompétent''. Par lettre du 10 juillet 2017 le dénonciateur a été licencié. En saisissant la juridiction prud’homale il a contesté cette rupture.


La Cour d’appel et la Cour de Cassation donnent raison au salarié et jugent le licenciement nul. Selon les art. L 1152-1 et 1152-2 du code du travail aucun salarié ne peut être licencié pour avoir relaté des agissements répétés de harcèlement moral. En l’espèce, le salarié a clairement dit que certaines personnes au siège de l’entreprise se sentaient harcelées. L’énoncé de ses mots ne le prive pas de sa liberté d’expression. Ce n’étaient pas des propos excessifs, insultants ou diffamatoires qui constituerait un abus de la liberté d’expression, comme l’avait estimé la société. Le seul critère qui aurait pu exclure la protection du salarié, aurait été la mauvaise foi appréciée comme « la connaissance de la fausseté des faits lors de la dénonciation ». Celle ci n’a pas été constatée.


L’arrêt actuel renforce le salarié et sa liberté d’expression en interprétant celle-ci dans un sens large. Cette appréciation est dans la droite ligne de la jurisprudence de la CEDH. L’arrêt du 12 février 2008 (GUJA c/ Moldavie – 14277/04) permet au salarié la divulgation à la presse des lettres internes qui prouvait de la corruption à l’interne du parquet général. Vu que le supérieur du fonctionnaire n’avait pas manifesté aucune intention de réagir à la lettre, la liberté d’expression et l’intérêt public à l’information pesaient plus que l’intérêt du parquet général à la confidentialité.

Aussi la politique française et européenne ont mis l’accent récemment sur la protection des lanceurs d’alerte avec la loi Sapin 2, la loi Waserman et la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union européenne.


Par rapport à la jurisprudence antérieure, il faut bien distinguer entre la dénonciation des faits constituant un harcèlement moral et la dénonciation d’un comportement que l’auteur qualifierait à tort de malversations ou autre. Dès lors que cette dénonciation serait non fondée, excessive ou publique elle sera jugée comme abus de la liberté d’expression et justifierait le licenciement pour faute grave du salarié (Cour de Cassation, Chambre sociale, 30 octobre 2002, n° 00-40.868 ; Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 mars 2007, n° 05-43.50 ; Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 juin 2015, n° 14-13.318).


L’arrêt du 15 février 2023 souligne à nouveau (comme déjà Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 juin 2015, n° 14-13.318) que la mauvaise fois est le seul critère qui peut priver le salarié de sa protection en dénonçant un harcèlement moral.

Dans l’arrêt déjà mentionné du 10 juin 2015 il avait déjà été jugé que, bien que l’apprentie ait fait des accusations très graves et totalement infondées de harcèlement moral et harcèlement sexuel contre son employeur et notamment en invoquant des faits anodins survenus en dehors du lieu et du temps de travail celui-ci n’était pas de mauvaise foi et donc le licenciement était nul.


Au-delà des termes employés, du caractère excessif ou étayé de la dénonciation la boussole du juge pour protéger le salarié qui dénonce des faits de harcèlement reste la bonne ou mauvaise foi de ce dernier.




Hanna Müller, Stagiaire au Cabinet Elage




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